jeudi 22 septembre 2016

[Pyrénées] 1 - Le massif du Mont Perdu (Monte Perdido) / Gavarnie

Il y a 53 millions d'années de cela (une broutille à l'échelle des temps géologiques), l'Espagne venait percuter la France entrainant le soulèvement des Pyrénées, deuxième plus important massif de France.
Les roches sédimentaires, magmatiques et métamorphiques beaucoup plus anciennes furent broyées, compressées, plissées sous des forces colossales. Le vent, la pluie, les glaciers finirent ensuite de modeler le paysage. Fini ? Non, les Pyrénées est une chaîne jeune, encore en pleine mutation.
Avant que le bloc Ibérique percute la France, entre 53 et 33 Ma (millions d'années), la région a connu de nombreux événements géologiques importants pour comprendre la formation de la chaîne Pyrénéenne.
Une première phase de sédimentation antérieure à 360 Ma - Les dépôts les plus anciens datent de l'Ordovicien (- 500 Ma), mais les plus remarquables sont les calcaires du Dévonien, riches en fossiles, notamment des coraux. La nature des reliefs calcaires témoigne du climat tropical qui régnait lors de sa formation et s'apparente à la grande barrière australienne.
Une première orogenèse entre 360 et 290 Ma, l’orogenèse hercynienne - Cette très importante chaine de montagnes (aussi appelée chaine Varisque, comparable en superficie et en hauteur à l'Himalaya) a modelé les paysages d'Europe et s'est formée par la collision des blocs Gondwana et Laurussia, lors de la formation de la Pangée. Le cœur granitique de ce massif, dévoilé par une érosion intense qui a pratiquement fait disparaitre toutes traces de cette chaine hercynienne, est encore visible dans le Massif Armoricain, le Massif Central et les Ardennes, reliques d'un glorieux passé. Outre le granite, les forces colossales mises en jeu vont entrainer métamorphisme et volcanisme dont les stigmates sont encore visibles aujourd'hui.
Une seconde phase de sédimentation entre les deux orogenèses, de 290 à 53 Ma - L'érosion de la chaîne hercynienne, et cette longue période d'accalmie, va laisser le temps à la région d'accumuler d'importantes et variées couches de sédiments.
Les roches volcaniques, plutoniques, sédimentaires et métamorphiques formées lors de cette riche histoire vont être ensuite de nouveau plissées, fracturées, broyées par la seconde orogenèse, celle des Pyrénées stricto sensu.
Ceci est l'histoire courte, simplifiée, de sa formation. Sa version complète étant particulièrement riche, et, il faut l'avouer un peu indigeste à découvrir d'une seule traite, je vous propose à travers l'étude de quelques massifs clés (Monte Perdido, Vignemale, Canigou-Carlit, Pic du Midi d'Ossau) d'en comprendre les grandes lignes.

Position du massif du Monte Perdido (Espagne)

On commence avec le Mont Perdu (Monte Perdido en espagnol), massif particulièrement imposant, culminant à 3355m (quatrième sommet des Pyrénées) dont la composition calcaire, offre des reliefs érodés parmi les plus impressionnants au monde (Canyon d'Ordesa, Cirque de Gavarnie...) à cheval entre la France et l'Espagne, ce qui a valu à la région d'être classée patrimoine mondial de l'humanité par l'UNESCO.


Monte Perdido (à gauche) et Cylindre du Marboré à droite, depuis la brèche de Tuquerouye. Juillet 2016 - © Jérémie Mollier
Lors de la seconde phase de sédimentation, après le cycle hercynien, lors de la dislocation de la Pangée, de nombreux bassins sédimentaires se sont ouverts, permettant le dépôt d'importantes couches calcaires dont ceux constituant le Mont Perdu, datant de -100 à -55 Ma (Crétacé inférieur et début du Tertiaire). La collision entre l'Espagne (plaque ibérique) et la France (plaque eurasienne) a surélevé, pliée, fracturé ses couches  calcaires. Les plis allant jusqu’à se chevaucher, comme présentés sur les documents suivants.

 
Pli du Cylindre de Marboré (3325 m) depuis la crête du El Dedo. Juillet 2016 - © Jérémie Mollier

Plis des fronts de chevauchement, flanc sud du Cylindre de Marboré. Juillet 2016 - © Jérémie Mollier
 


 Enfin, le calcaire, roche relativement facilement érodable, a été taillé par l'eau, le vent et les glaciers, pour former deux types de reliefs remarquables, les cirques et les canyons.

I - Les Canyons espagnols


Fond du Canyon d'Ordesa, avec les Tre Serols (trois sœurs), de gauche à droite (le cylindre de Marboré, le Mont Perdu et le Soum de Raymond). Notez la forme triangulaire typique de l'érosion glaciaire du Mont Perdu. Juillet 2016 - © Jérémie Mollier

Si le massif est à cheval entre nos deux pays, il propose des reliefs très différents selon que l'on se place d'un côté ou l'autre de la frontière. Ainsi chez nos voisins espagnols, le côté aride des paysages et renforcé par les spectaculaires canyons qui y sont creusés, dont le plus connu est sans doute celui d'Ordesa.
Ces Canyons sont en réalité des vallées glaciaires (creusés par des... glaciers) particulièrement impressionnantes et non le fruit de l'érosion par un fleuve ou une rivière, comme pour le Grand Canyon. La vallée d'Ordesa dans sa partie basse propose des falaises impressionnantes d'un dénivelé supérieur aux 1000 mètres, entrecoupées par des vires (Faja en espagnol), étroits chemins (vertigineux !) entre des strates (=couches de roches) de duretés différentes. Des cirques sur le flanc nord proposent des passages munis de clous pour aider à gravir les parois (Clavijas du Cirque de Cotatuero et de Carriata).

Ces vallées glaciaires en U (fond plat et parois abruptes, qui s'opposent aux vallées en V creusées par les rivières) se forment par la lente et puissante avancée des glaciers capables de creuser plus rapidement et plus efficacement dans des roches dures que des rivières.

Canyon d'Ordesa, vu du flanc sud du Mont Perdu. Juillet 2016 - © Jérémie Mollier

 La partie haute est composée de vallées glaciaires, de cirques et d'une zone karstique (grottes, crevasse et gorge creusée par l'infiltration de l'eau dans les couches calcaires) qui remonte jusqu'à la Brèche de Roland, point d'entrée vers le cirque de Gavarnie.


Face sud du Canyon d'Ordesa, avec en face, la Faja de las Flores reliant les cirques de Carriata et de Cotatuero et qui suit la ligne de rupture entre deux strates. Juillet 2016 - © Jérémie Mollier
Les balcons de Pineta, extrémité du canyon du même nom, dans la partie est du massif du Mont Perdu. Juillet 2016 - © Jérémie Mollier



II - Les cirques Français

C - Calcaire (Tertiaire/Secondaire) / Y - Granite de Néouvielle / S - Sédiments du primaire (Silurien) / M - Migmatite /  Étape 1 - Une couche calcaire non affectée par l’orogenèse hercynienne repose sur des roches primaires.  Étape 2 - Les sédiments du primaire sont écrasés par les blocs cristallins (Y et M) et sont expulsés en hauteur, soulevant les calcaires (C). Étape 3 - Les sédiments anciens s’affaissent vers le sud (nappe de charriage) tandis que les calcaires (C) glissent et se plissent, se chevauchent notamment au niveau du Mont Perdu. Étape 4 - Les Glaciers vont creuser à travers ses couches, permettant d'en observer la séquence au niveau des criques de Gavarnie, d'Estaubé et de Troumouse.
Le cirque de Gavarnie, le plus célèbre des cirques français, repose sur deux socles de roches très dures (du granite de Néouvielle, et de la migmatite). Entre les deux, des couches de sédiments plus tendres, datant du Silurien (-430 à -410 Ma). Au-dessus, les couches calcaires du Secondaire (Crétacé) et du début du Tertiaire (Eocène) reposaient à plat, étant postérieures à l’orogenèse hercynienne et n'ayant donc pas été plissées par elle.
Lors de l'élévation du Massif du Mont Perdu, le granite et la migmatite sont venus coincer les roches sédimentaires du Silurien, les expulsant vers le haut. La compression se poursuivant ses couches se sont effondrées vers le sud, formant des structures appelées nappes de charriage. Fréquente dans les Alpes, elles ont ici amené à l'élévation du plus haut massif calcaire d'Europe.
Les glaciers ont ensuite creusé à travers ses couches, formant le cirque de Gavarnie, qui de bas en haut se compose d'un socle de migmatite, d'une fine couche de calcaire du secondaire, d'une couche importante de sédiments du Silurien (nappe de charriage) coiffée de couches calcaires du crétacé et de l'éocène.
Le Cirque de Gavarnie. Juillet 2016 - © Jérémie Mollier


Cirque d'Estaubé. Juillet 2016 - © Jérémie Mollier

Allons visiter...


Les différents sites présentés ici, outre leur intérêt géologique évident sont aussi des formidables destinations de vacances offrant des paysages variés et époustouflants. Et, sont relativement accessibles. Les différents cirques et canyons s'atteignent en voiture (attention, la route menant au Canyon d'Ordesa est fermée pendant la haute saison, mais un service de bus permet de l'atteindre aisément, et le cirque d'Estaubé demande un peu de marche pour être atteint.
Le Cirque de Gavarnie propose de nombreux sentiers, de la balade digestive d'une heure au pied du cirque, aux randonnées exigeantes (le Grand Astazou par les rochers blancs) nécessitant de vraies connaissances de la montagne. De quoi satisfaire tout le monde.

 
Le Cirque de Gavarnie et ses Rochers Blancs (plein centre) et le col d'Astazou (en haut à droite) Juillet 2016 - © Jérémie Mollier


Le Canyon d'Ordesa possède les mêmes qualités, de la promenade au fond du canyon, en passant par une boucle facile par la Faja Pelay, aux sentes vertigineuses et aux Clavijas pour les amateurs de sensations fortes. 

Pour les plus courageux, voilà un itinéraire testé par mes soins, qui vous permettra de découvrir en 4 ou 5 jours tous ses paysages. Attention aux conditions d'enneigements, à la météo, surtout pour la troisième étape et ne présumez pas de vos forces, il s'agit d'un itinéraire de hautes montagnes comprenant des passages de névés et glaciers, du rocher, de l'escalade (facile).

Jour 1 - Gavarnie - Breche de Tuquerouye (4/5 heures)
Peu de difficulté technique, si ce n'est la brèche souvent enneigée (crampons/piolets souvent nécessaires).
Gros dénivelés. Surtout lourdement équipé.
Brèche de Tuqueroye. Juillet 2016 - © Jérémie Mollier


Jour 2 - Brèche de Tuquerouye - Mont Perdu - Refuge de Goriz (6/8 heures)
Montée du Col du Cylindre exigeante, surtout par fort enneigement (névés, glacier, cheminée (escalade 2+), éboulis raides).
Couloir terminal du Mont Perdu : préférez par le névé, moins piégeux que par le rocher.
Avant de monter au Col du Cylindre, faire un crochet vers l'Est pour admirer les balcons de Pineta.

Petit Lac Glacé, point de départ du couloir final du Mont Perdu. Juillet 2016 - © Jérémie Mollier


Jour 3 - Refuge de Goriz - Faja Pelay - Fajeta/Clavijas de la Carriata - Plana Catuarta (6/8 heures)
Étape dangereuse sous la pluie (passage sur d'étroites corniches + rochers par la Fajeta, ou escalade par les Clavijas), à éviter (comme ce fus mon cas).
Possibilité de variante Faja Pelay - Fond du Canyon d'Ordesa - Retour au refuge de Goriz

Le Cirque de la Carriata. On reconnait la paroi tu Tozal del Mallo, spot d'escalade bien connu. Juillet 2016 - © Jérémie Mollier

Jour 4 - Plana Catuarta - Brèche de Rolland - Gavarnie (4/5 heures)
Pas de difficulté, sauf si l'on choisit de passer par l'échelle des Sarradets à la redescente, passage vertigineux sur rochers.
Pour ceux qui choisissent la variante lors de l'étape 3, le retour vers la brèche passe le Pas des Isards, zone pouvant être très pénible en cas de névés persistants et nombreux (comme ce fut mon cas).


Névé, à proximité de la brèche de Rolland. Juillet 2016 - © Jérémie Mollier
Cet itinéraire peut être couplé par l'est vers le parc de Neouvielle et son granite, ou par l'ouest (mon choix) pour gravir le Vignemale.



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Sources :
Le Guide Rando - Gavarnie-Luz / Michel Record (Rando Edition)
http://infoterre.brgm.fr/viewer/MainTileForward.do#
http://cirquedebarrosa.free.fr/index.htm
http://eduterre.ens-lyon.fr/thematiques/terre/chaine-varisque/synthese-et-mise-au-point-sur-la-chaine-varisque
http://www.e-natura.com/natura_randonnees/info_naturaliste/gavarnie.php
http://pierre.gruneisen.pagesperso-orange.fr/geolval/histoire.htm





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