mardi 17 février 2015

[La théorie synthétique de l'évolution] L'évolution de l'oeil

La théorie de l'évolution a radicalement changé notre vision de la biologie. Les espèces n'étaient plus simplement connectées les unes aux autres par leurs interactions dans un milieu, mais avaient une histoire commune, dont on pouvait retrouver trace dans leurs comportements, leur anatomie, leurs gènes. Elle permet une approche globale et synthétique de la biologie.

Je vous invite à cliquer ici pour quelques rappels, si vous maitrisez bien le sujet, vous pouvez continuer.

Prenons le cas des organes complexes et notamment l’œil, qui par méconnaissance totale du sujet est choisi par les quelques détracteurs de la théorie de l'évolution comme contre exemple. Pour qu'une innovation, tel un nouvel organe, soit sélectionnée, il doit apporter un avantage à la survie ou à la reproduction. Or s’il est évident que l’œil apporte un avantage certain et peut être sélectionné, il n'a pas pu se former en  un seul événement évolutif, étant bien trop complexe. Pour se former, il doit donc exister des formes intermédiaires, qui chacune apportent un avantage pour être sélectionnées. Il n'est pas difficile d'en imaginer certaines et de tracer les grandes lignes de son évolution. Et cet exemple est d'autant plus intéressant que l'on retrouve chez des espèces actuelles une grande diversité de forme de l'œil, dont certains peuvent s'approcher de ses fameuses formes intermédiaires.

Penchons-nous sur le cas des mollusques, un embranchement bien connu du règne animal. Sans rentrer dans les détails de la classification, les mollusques sont parmi les animaux les plus éloignés d'un point de vue évolutif des hommes (faisant partie du groupe des protostomiens séparés des deutérostomiens dont nous faisons partie, il y a environ 600 millions d'années). Pourtant l’œil des calmars est assez proche, dans sa structure, de l’œil humain. On parle de convergence évolutive (un même organe a été sélectionné indépendamment plusieurs fois dans l'histoire évolutive, car confronté à des mêmes agents sélectifs), l’œil permettant entre autres d'échapper aux prédateurs, de repérer sa nourriture... Outre cet œil complexe, on retrouve une grande diversité de forme chez les mollusques.

A - La Patelle

La patelle possède une simple accumulation de cellules photoréceptrices, capables de percevoir les variations de lumière, notamment les variations jour/nuit et le passage de la marée qui influencent sa consommation de nourriture.

 
Patelle - Vue ventrale - Les yeux de la patelle sont situés sur les tentacules

B - Pleurotomariacea

Certains gastéropodes de la famille des Pleurotomariacea possède une courbure de la zone contenant les photorécepteurs qui permet  la lumière de ne stimuler qu'une partie des cellules et ainsi de repérer la direction aux variations de luminosité.




Entemnotrochus rumphii, famille des Pleurotomariacea


C - Nautile

Le Nautile possède une zone photoréceptrice encore plus creusée, qui se referme presque vers l'avant, permettant de former une image inversée au fond de la cavité, selon le principe de camera obscura.




 Oeil d'un Nautile

 D - Murex

Le murex, gastéropode de la famille des muricidae, possède un œil complètement fermé par des cellules transparentes (cornée) qui isolent en son sein une lentille, permettant de focaliser la lumière et aboutir à une image plus précise.



 Murex se déplaçant sur le fond marin à l'aide de son pied

 E - Calmar

Comme déjà évoqué, l’œil du calmar se rapproche de celui de l'homme, avec l’apparition de l'iris capable de contrôler l'ouverture de l’œil et s'adapter aux variations de la luminosité.



L’œil complexe du Calmar



Résumé des différentes formes de l’œil chez les mollusques


De plus, ce modèle explique parfaitement l'imperfection de l’œil humain. Si cet œil avait été conçu en une fois, dans un but défini, pourquoi les axones des cellules photoréceptrices passeraient devant celles-ci avant de se réunir au niveau du nerf optique, provoquant la tache aveugle ? Par contre, dans un modèle où la formation de ses connexions ont été obtenus par "hasard" et sélectionné, car étant avantageux à un moment de l'histoire de notre espèce, mais sans dessein du devenir futur de l’œil, cette imperfection devient compréhensible.


Comparaison de l’œil humain avec celui d'une pieuvre

Le seul inconvénient de cet exemple, c'est qu'il pourrait laisser imaginer une certaine hiérarchisation de ses êtres vivants.  La patelle n'est pas moins évoluée que la pieuvre, elle est encore moins son ancêtre. Son œil n'a pas connu la même évolution, car non soumis à la même sélection naturelle.

Ainsi, la formation d'un organe aussi complexe que l’œil s'explique parfaitement par une évolution progressive contingente des conditions du milieu. Nilsson et Pelger ont tenté de modéliser le nombre de générations nécessaire à la formation de l’œil des vertébrés et l'ont établi dans leur prédiction pessimiste à 400 000 générations, résultat parfaitement compatible avec les 550 millions d'années d'évolution qu'à connu l’œil depuis sa forme primitive.


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Sources :
Cours Adaptation, M1, Emmanuelle Baudry 2010
Classification phylogénétique du vivant, G.Lecointre, H Le Guyader, 3ème édition
http://www.rpgroup.caltech.edu/courses/aph161/Handouts/Nilsson1994.pdf


[La théorie synthétique de l'évolution] Rappels

 "Nothing in biology makes sense except in the light of evolution." ("Rien n'a de sens en biologie, si ce n'est à la lumière de l'évolution"). Theodosius Dobzhansky - 1973

 La théorie synthétique de l'évolution - dont la mise en place entre 1930 à 1940 doit beaucoup à Theodosius Dobhzansky, rendu célèbre notamment par cette citation - propose un modèle décrivant et expliquant l'évolution observée dans la nature. Il repose sur quelques constats et principes fondamentaux très simples, déjà en grande partie décrits par Charles Darwin (De l’origine des espèces - 1859), mais dont les implications sont vertigineuses.

1/ La variabilité au sein d'une même espèce. Les individus d'une même espèce possèdent des caractéristiques (anatomique, génétique, comportementale...) qui leur sont propres et qui les différencient des autres individus.
2/ L'hérédité. Certains de ces caractères sont héréditaires et c'est à la base de la domestication de certaines espèces animales et végétales par l'homme. Il croise des individus possédant des caractéristiques intéressantes et elles se retrouvent présentes dans la génération suivante. On parle de sélection artificielle.
3/ Les agents sélectifs. La quantité de ressources disponibles dans un milieu, la compétition entre espèces partageant un même écosystème, les facteurs physico-chimiques d'un milieu (température, humidité, acidité...) sont autant de facteurs qui influencent la survie et la reproduction des espèces.

Fort de ces 3 constats, Darwin a expliqué les points communs entre des espèces actuelles, mais aussi fossiles par leur évolution, selon le principe ci-dessous :

Au sein d'une population, la variabilité fait que certains individus possèdent des caractères avantageux - vis à vis de leur environnement - à leur survie et/ou leur reproduction. La descendance de ces individus, proportionnellement plus importante, possédera ces mêmes caractères, car héréditaires, et seront à leur tour plus aptes à survivre et/ou se reproduire. On parle de sélection naturelle. Les caractères sélectionnés se répondront ainsi dans la population.

La grande diversité des milieux sur notre planète, l’interaction constante des espèces au sein d'un écosystème, l'histoire mouvementée de la Terre, sont autant de facteurs capables de sélectionner ces variations et sont, après plusieurs milliards d'années, à l'origine de l'immense diversité des espèces sur Terre.

Mais la théorie de l'évolution a elle-même bien évolué depuis Darwin. Il avait conçu une théorie valable, qui expliquait avec élégance ce que l'on observait sur le terrain. Mais des points obscurs dont il n'avait pas connaissance la rendaient attaquable par ses détracteurs. Des découvertes plus tardives verront confirmer sa théorie. Il ne connaissait pas :
- Les mécanismes de l'hérédité. Il faudra attendre les travaux de Mendel (1866) et de ses successeurs pour que l'hérédité génétique soit découverte.
- Le support de l'information génétique. La découverte de la molécule d'ADN, de sa fonction et de sa structure se fera entre 1869 et 1953.
- L'origine de la variabilité. La notion de mutation génétique sera démontrée par Morgan en 1911.
- L'âge de la Terre. Le mécanisme de l'évolution prend du temps et à cette époque l'âge de la Terre, démontré maintenant à 4.57 milliards d'années, faisait débat.

Il était ainsi incapable d'expliquer la formation d'un organe aussi complexe que l’œil. C'est justement ce premier cas que je vais traiter ici :

Le lien arrive...

vendredi 6 février 2015

[Comprendre les paysages] La formation des grands lacs

Il existe sur terre environ 230 000 km3 d'eau dans des lacs. Vous avez tous été confrontés à l'un d'entre eux, admirés la couleur de l'eau, endormis en écoutant le clapotis des vagues, baignés dedans... Mais vous êtes vous déjà demandés quelles étaient les origines des variétés de formes, couleurs, profondeurs ? C'est ce que je vais tacher de vous expliquer à travers quelques exemples choisis parmi les lacs les plus remarquables au monde.

Mais avant de commencer, il est bon de se mettre d'accord sur la définition d'un lac, pour savoir de quoi on parle. Un lac est une étendue d'eau, entourée de terre, d'une taille suffisante pour observer dans son fond une sédimentation et/ou une stratification de l'eau (différentes couches d'eaux distinctes).
Selon cette définition, beaucoup de lacs nommés par l'homme sont en réalité trop petits pour entrainer ce genre de mécanismes (étangs ou mares). En revanche, la mer Caspienne isolée des autres océans et mers est donc un lac. Le plus grand du monde, même si composé d'eau salé.

 
La mer Caspienne ou lac Caspien est le plus grand lac au monde
 
Lac Caspien
Localisation Asie
Superficie 371 000 km²
Profondeur max 1025 m
Volume 78 200 km3
Altitude -28 m

 









Un lac se forme très simplement lorsqu'une dépression (un creux) se remplit d'eau. Selon la topographie du terrain (la forme du creux), le lac peut prendre des formes, tailles, profondeurs différentes. On peut ainsi comparer le lac d'en Haut et la lac d'en Bas, présent sur la commune de la Godivelle dans le Puy de Dome, d'une taille équivalente (environ 0.12/0.15 km²). Le lac d'en Haut est parfaitement circulaire et possède des flancs abruptes lui donnant une profondeur maximal de 44 mètres, tandis que le lac d'en Bas n'excède pas les 1 à 2 mètres de profondeur. Cette différence s'explique par leur origine, le premier s'étant formé dans le cratère d'un volcan, le second tirant son relief de l'érosion par un glacier.

Penchons nous donc sur ces différents modes de formations des grands lacs.

Les glaciers

L'un des mécanismes les plus fréquents pour creuser une dépression est l'avancée des glaciers. Un glacier selon sa taille peut avoir une force considérable. Il racle et arrache la roche à flanc de montagne, pour la transporter sur plusieurs kilomètres. Son poids peut entrainer un enfoncement du sol (subsidence). Il creuse des vallées très larges (vallées en U) qui s'opposent aux vallées beaucoup plus resserrées (vallée en V) formée par des rivières et cours d'eau.

C'est le cas par exemple des lacs Bessavtnet et Gjende en Norvège, qui résultent de la fonte d'un glacier (on parle de lacs proglaciaires), qui ont remplis deux vallées voisines, séparées par la crête de Bessegen, haut lieu de la randonnée norvégienne. Ces lacs sont souvent long et étroit (18km de long pour 1.25 km de large pour le lac Gjende), délimité en amont par le glacier, si celui-ci n'est pas encore entièrement fondu, et en aval par un amas de roches déplacées par le front du glacier marquant la limite de sa progression, une moraine.

Le lac Gjende à gauche, le Bessavtnet à droite et la crête de Besseggen au centre.


Lac Gjende
Localisation Norvège
Superficie 15.64 km²
Profondeur max 149 m
Volume 1 000 000 m3
Altitude 984 m







Lorsque ces glaciers creusent des vallées au niveau de la mer, celle-ci se remplissent d'eau salée et forment des fjords. Parfois, ce sont les calottes glaciaires qui lors de périodes froides se propagent des pôles pour atteindre les continents et en suivant les cours d'eau, vont créer d'immenses dépressions qui seront ensuite remplies par des lacs. C'est le cas des Grands Lacs d'Amérique de Nord, comme le Lac Supérieur, le plus grand lac d'eau douce au monde par sa superficie. Depuis la disparition de la calotte glaciaire - qui de par son poids colossal avait enfoncé toute la région - la croute au fil du temps reprend sa position d'origine et les lacs gagnent en altitude, accélérant leur vidange dans l'océan. Ces grands lacs ne sont d'ailleurs que l'ombre de ce qu'ils ont été.

Rive du Lac Supérieur

 
Lac Supérieur
Localisation USA, Canada
Superficie 82 350 km²
Profondeur max 406 m
Volume 12 100 km3
Altitude 183 m











La Tectonique des plaques

Notre planète est soumise à des forces capables de fracturer des continents, ouvrir des océans ou au contraire provoquer d'immenses collisions à l'origine des chaînes de montagnes. Ses forces découpent la Terre en plaques (tectoniques) qui se déplacent les unes par rapports aux autres, soit en s'écartant de leurs voisines, soit en se rapprochant.

Parfois au sein d'une même plaque, des forces contraires l'étirent, l'amincissent. A force d'être écartelée, la plaque casse, des failles normales se forment et provoquent l'effondrement d'une partie de la croute. Des fossés appelés grabens se forment ainsi par un réseau de failles normales (le fossé rhénan est l'exemple le plus proche de nous). Ces fossés peuvent se remplir d'eau, formant ainsi des lacs souvent très profonds. Ce type de structure est d'ailleurs observé au fond du Lac Supérieur qui a donc une origine glaciaire et tectonique, expliquant qu'il soit plus profond que les autres Grands Lacs d'Amérique du Nord.

Formation d'un graben encadré par des failles normales (=Normal Fault)


 Si ces mouvements d'étirements se poursuivent, des longs grabens ou des séries de grabens parallèles apparaissent formant un rift, qui a terme peut ouvrir un continent et faire apparaitre un océan. L'exemple le plus fameux à l'heure actuelle est le rift est-africain qui est à l'origine de la région des grands lacs africains, dont le célèbre lac Tanganyika, le second plus profond au monde avec 1433m (oui, il y a mieux, le lac Baïkal) et second lac d'eau douce en volume (la encore derrière le Baïkal), mais aussi le plus long au monde (677 km, cette fois devant le Baïkal) toujours en eau douce, la Caspienne fait mieux sinon. C'est une zone d'intense activité sismique et volcanique parmi les plus intéressantes au monde et qui pourrait entrainer la séparation d'un bloc Somalien par rapport au reste de l'Afrique.
 

Pirogue sur le lac Tanganyika


Lac Tanganyika
Localisation Afrique de l'Est
Superficie 32 900 km²
Profondeur max 1433 m
Volume 18 900 km3
Altitude 775 m







Au contraire, lorsque deux plaques continentales se percutent, elles se plissent formant les reliefs acérées des chaînes de montagnes (un peu comme une collision entre deux trains, mais à une échelle de temps et d'espace bien plus importante). Au creux d'un pli peuvent s'installer des lacs de montagne, comme le Grand Lac Salé, dans l'Utah, un lac endoréique c'est à dire que toute l'eau qui s'y déverse est capturée et ne peut le quitter que par évaporation, concentrant ainsi le sel.


Le Grand Lac Salé saturé en ... sel !


Grand Lac Salé
Localisation Utah (USA)
Superficie 4400 km²
Profondeur max 10.7 m
Volume 17.6 km3
Altitude 1283 m










Le volcanisme

Les éruptions volcaniques peuvent être également à l'origine de lacs, par trois mécanismes très simples :
- Les maars sont des cratères formés par une éruption explosive, lorsque le magma est hydraté par une nappe phréatique ou un cours d'eau souterrain. Cela forme des lacs circulaires et profonds mais de tailles modestes. (Ex : le lac d'en Haut, lac Pavin, le Gour de Tazenat dans le Massif Central)
- Les cônes de scories sont formés par l'accumulation de tephras projetés tout autour d'une cheminée volcanique. Le cratère peut alors être comblé par un petit lac.
- Les caldeiras sont provoqués par l'effondrement du volcan après que sa chambre magmatique soit en partie ou complètement vidée. La dépression engendrée peut être immense notamment dans le cadre des supervolcans évoqués dans un article précédent. (Lac Taupo en Nouvelle Zelande, Crater Lake dans l'Oregon - USA, Lac Toba en Indonésie).

Vue sur le Lac Toba
  
Lac Toba
Localisation Indonésie
Superficie 1130 km²
Profondeur max 505 m
Volume 240 km3
Altitude 905 m







Bien entendu, de par son activité volcanique, sa situation sur une zone d'écartement de plaques, une dorsale (présence de graben) et par sa haute lattitude, l'Islande (on y revient toujours) possède des lacs formés par chacun des mécanismes évoqués au dessus.
Tectonique : Le Þingvallavatn (Le lac des plaines du parlement) se situe en plein sur le rift qui sépare la plaque Amérique de la Plaque Eurasienne, il est le plus grand lac naturel d'Islande (82 km²)
Glaciaire : Le Skorradalsvatn est un lac situé dans une vallée glaciaire encaissée à l'ouest de l'Islande, il est long de 15 km.
Le Jökulsárlón quant à lui est sans doute le plus célèbre des lacs proglaciaires d'Islande, connu pour ses belles eaux bleues turquoises et ses blocs de glaces à la dérive provenant du Vatnajökull. Il est aussi le lac le plus profond d'Islande (248m)
Volcanique : Le Öskjuvatn est un lac remplissant la caldeira centrale de l'Askja, il est le second plus profond d'Islande (220m).

La Jökulsárlón en Hiver.






















 Bien entendu, il existe encore d'autres phénomènes à l'origine de la formation de lac, mais j'ai fait le choix de me limiter aux lacs de plus grandes envergures.

Vous arrivez à la fin de cet article, et je n'ai toujours pas parlé dans le détail du lac Baïkal, le plus grand lac d'eau douce du monde en volume (Son volume est supérieur aux volumes de l'ensemble des Grands Lacs d'Amérique du Nord !). Le plus profond également. Réputé pour la pureté de son eau et bien d'autres choses. Il aura l'honneur d'un article rien que pour lui. Mais là vous avez déjà de quoi faire.